Extrait du "Tuyau" numéro 17 page 4 (4 novembre 1915)

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Propos d'un prisonnier
"Le garde-pompe"

Suivant la saison ou l'état de l'atmosphère le service à la pompe peut-être considéré comme un salutaire délassement ou une odieuse corvée. Mais il demeure toujours une mission délicate.

Dédaignant la classification toute théorique et quelque peu désuète de la "Physique", nous ne distinguerons que deux sortes de pompes, les pompes à débit constant et les pompes à débit intermittent. A part l'attention que réclame ces dernières aux rares moments où, de sa clef gigantesque et magique, le grand maître des eaux dispense le clair breuvage aux populations avides, le service aux pompes intermittentes, du fait de leur tarissement passager, est de tout repos, et l'on a vu par de brûlantes journées d'été, des sentinelles vaincues par le soleil somnoler gentiment au bord des auges fraîches...

Bien plus absorbante est la garde à la pompe constante. A proximité de certain édicule dont la nécessité l'emporte sur la commodité, la pompe à débit constant s'érige comme une fontaine miraculeuse dont les eaux bienfaisantes préviennent la maladie. Nombreux sont les fidèles qui, sous l'oeil bienveillant du gardien, y viennent chaque jour faire leurs dévotions, et s'il arrive qu'un étourdi, un distrait, ou un indifférent passe, sans lui rendre hommage, auprès de la source sacrée, c'est au digne gardien qu'il appartient de veiller au respect du culte, il doit flairer le malin, confondre le simulateur, convaincre le profane, et pasteur vigilant et avisé, s'efforcer à l'aide d'exhortations bien senties, de ramener dans le bon chemin ses brebis égarées...

A de certaines heures, le pèlerin a droit à un baume qui ressemble étrangement à du sang noir, et dont l'onction pour être efficace, doit être immédiate. Les pires calamités s'attacheraient à sa personne s'il avisait, sournoisement d'en emporter à titre de pieux souvenir ou de sainte relique, la moindre parcelle dans ses foyers.

En la belle saison, le garde-pompe que n'absorbe pas toujours les ablutions des fidèles, se laisse aller à la rêverie et jette sur les pentes boisées du Harz un regard d'envie. Mais il est des jours où par la pluie battante, blotti dans sa guérite, attendant vainement la pratique, il transe et grelottant, le garde-pompe contemple d'un air dégoutté la masse visqueuse du savon qui s'étale à ses pieds et voudrait bien pouvoir, renouvelant ses voeux de baptême, renoncer une fois de plus à Satan, à ses pompes et à ses oeuvres.

Géo