Les relations entre prisonniers et allemands

Comme dans chaque camp il arrive que certains gardiens fassent preuve de brutalité.
"Au 19 Novembre se place un petit événement tragi-comique. Le concert comme d'habitude avait commencé à 8 h du soir avec salle comble. Comme d'habitude aussi à 9 h le courant était coupé ce qui n'empêchait pas le concert de se poursuivre dans l’obscurité. Ce qui ne fut pas dans l’habitude, ni le programme, ce fut le courant rétabli et la lumière accueillie par des cris de joie. Soudain pendant que notre camarade Santos chantait « la danse du ventre » la porte s’ouvrit et la silhouette du boxeur apparut (le boxeur était un caporal allemand qui pour un oui ou un non, nous frappait constamment soit à coups de poing, coups de pied ou bien coups de bâton en caoutchouc). En apercevant la fumée du tabac qu’il y avait dans la baraque la colère le prit ainsi que sa brutalité légendaire et saisissant un balai se trouvant à la porte, fit évacuer la baraque en beuglant « los . . . los . . . los . . . » et distribuant des coups de manche à balai à ceux qui passaient devant lui. Dans la baraque, ce fut un tumulte général et un sauve qui peut complet pour éviter de tomber sous les griffes de ce sauvage enragé. Les uns sautèrent par-dessus les paillasses où certains étaient couchés, leur écrasant parfois les pieds ou les jambes, d’autres prirent les fenêtres pour sortie de secours et abandonnaient leur mobilier, en l’occurrence leur banc, d’autres enfin affrontant ce forcené, passèrent devant lui en se servant de leur banc comme bouclier. Cette bousculade et cet affolement donnaient l’impression que tout le monde fuyait par suite de l’incendie de la baraque. Chacun regagne alors sa baraque et nous commentons cet incident en riant¹".
Quelques artistes avaient interprété plusieurs chansonnettes, lorsque soudain quelqu'un crie un « 22 » retentissant. C'était le boxeur, un gourdin à la main et proférant des cris de bêtes fauves, qui faisait son entrée dans la baraque. À la vue de ce monstre, la panique se répandit dans la salle. Le boxeur escaladant les tables et les bancs parvint au milieu de la salle et la fit évacuer rapidement en criant « arbeiten » ce qui signifiait travailler, ajoutant même que le jour de Noël n’était pas un jour de repos. Cette évacuation pour rapide qu’elle fut, se déroula néanmoins accompagnée de coups de bâtons administrés par ce sinistre sauvage. Dès qu’on fut sorti, en dehors de la portée du boxeur, une autre sentinelle nous attendait à la porte et nous accueillait par un autre coup de bâton en nous faisant comprendre qu’il fallait se mettre en rangs pour aller au travail. Bon gré, mal malgré, il fallut se soumettre et à la place de la représentation, nous allons travailler un jour de Noël (mes notes n’ont pas mentionné le travail exécuté ce jour-là)¹."

Cette brutalité gratuite, entraine parfois la réaction des prisonniers qui sont alors sévèrement punis comme en témoigne J.BURUSI.
"C'était, j'en ai le souvenir très net, le 24 décembre 1915, une bise glaciale nous faisait rentrer un peu plus en nous-mêmes et relever le col de nos capotes. Au rassemblement du soir, Français et Russes, alignés devant nos baraques respectives, attendions la fin de l'appel et le "baracke" libérateur, lorsque pour une raison que seuls les Allemands savent invoquer quand ils veulent imposer leur "Kultur", un de nos geôliers, une brute se mit à boxer d'importance un prisonnier Russe. Comme obéissant à un commandement, un Hou! unanime, puissant et prolongé, sortit de nos poitrines. Comme par ordre supérieur également, les coups cessèrent aussitôt, mais la suite nous donna une idée de la civilisation germanique. 1° Pendant trois nuits, alors que le thermomètre marquait entre 15 et 20 degrés au-dessous de zéro, toute la compagnie fut privée de ce que nous appelions alors une "paillasse". 2° Le lendemain, jour de Noël, les uns, la majorité, furent astreints, par groupes de 25, à garder l'immobilité la plus complète pendant 4 heures, les autres furent attachés aux nombreux poteaux de la cour pendant deux heures. Cette dernière épreuve, très pénible pour tous, devint insupportable pour l'un d'eux (Chomé), qui se trouva mal au bout de trois quarts d'heure. Devant ce spectacle et, impuissant à le secourir Weiss, un petit parisien aux cheveux roux, cracha de mépris et de rage devant une sentinelle. Notre camarade, traduit devant le Conseil de guerre, fut condamné à 6 mois de prison et les autres, dispersés dans d'autres camps ou envoyés dans les mines de charbon ou de sel ; mais nous n'abdiquâmes pas pour cela, la résistance continua ailleurs²."
Cette brutalité n'est pas forcément physique mais également psychologique comme nous le démontre cette autre anecdote.
"Or, un matin, le Boxeur, la mine réjouie, vint nous annoncer que par ordre du général, le port de la barbe était interdit et qu’en conséquence nous devions nous faire raser. Comme nous avions des doutes sur la véracité de cet ordre, le Boxeur étant capable de tout, nous attendons un 2e ordre de notre chef de baraque qui pourra confirmer ou infirmer cette décision qui sera lue au rapport journalier et auquel il assiste. Le 5 mai, notre chef de baraque nous fit savoir que la décision était maintenue et que les barbes devraient être coupées. Au rassemblement du lendemain matin, notre Boxeur, toujours très fier de nous faire voire sa supériorité, passe devant chacun de nous avec le sourire aux lèvres et fait sortir des rangs les hommes porteurs de barbe. Inutile de parlementer avec lui car il aurait vite fait de vous faire comprendre qu’il faut s’incliner. Personnellement je n’avais pas une barbe magnifique. Non, j’avais une petite barbe rousse poussant plus d’un côté que de l’autre et principalement plus fournie en dessous du menton ; par contre j’avais une très jolie « mouche ». Je ne désirais certes pas conserver cette barbe affreuse qui datait du 25 Juillet 1914, mais cependant nous voulions être également « des Poilus », rentrer au foyer familial avec une barbe plus ou moins belle ou plus ou moins grande et revenir avec une barbe de « Poilu » uniquement comme souvenir de notre campagne et de nos souffrances endurées. Ce plaisir ne nous fut pas permis. Sous le coup de cette décision, la colère nous prit et en plus de la barbe nous faisons également couper la moustache (des poils de ma barbe sont conservés dans mon porte-monnaie de prisonnier). Oh ! Alors nous avions bien la figure de l’emploi, la mine de véritables prisonniers, cheveux ras et visage glabre à un tel point que mes camarades ne me reconnaissaient pas et me prenaient pour un nouveau. Notre colère avec le temps finit également par disparaître d’autant plus qu’il fallait se conformer aux ordres du général. Quelques jours plus tard nous avions l’explication de cette singerie. Les prisonniers des camps mitoyens au nôtre ayant conservé leur barbe, cette décision du général nous parut extraordinaire qu’elle ne fût pas appliquée à tous les camps. Nous faisons une petite enquête en sourdine et apprenons à notre grande fureur que ce n’était qu’un ordre du boxeur ou autrement dit pour l’appeler de son grade : par un caporal. Et c’est devant cet énergumène qu’il faut s’abaisser et plier à ses moindres désirs ou caprices¹."